Terre des Hommes – Délégation du Doubs
Pour le droit à vivre dignes

Site de la délégation départementale du Doubs (DD25) de l’ONG Terre des Hommes France

Les instruments d’actions citoyennes

Thierry Brugvin
Attac-Besançon

Article mis en ligne le 26 mai 2020
dernière modification le 5 juin 2020

par Thierry Brugvin
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Compte rendu de l’atelier Citoyenneté et société [1] présenté par Thierry Brugvin [2], Attac-Besançon [3]

Thierry Brugvin

Introduction

Dans le cadre de l’atelier sur Citoyenneté et société, nous allons chercher à analyser le répertoire des actions citoyennes. Ceci afin de comprendre quelles sont les instruments concrets, les méthodes d’actions, de guérillas, d’insurrections, de grèves, de blocages, de désobéissance civile, d’actions symboliques, de sensibilisation... utilisées par les militants qui cherchent parvenir à une révolution. Généralement, les militants mènent leurs actions de manière intuitive, sans chercher véritablement à développer une méthodologie, voire une science militante visant à rationaliser et systématiser leur méthode d’action.

Il s’agira donc de lister et d’analyser ces méthodes d’action, de les recenser de manière relativement exhaustive, puis de chercher à les hiérarchiser des plus efficaces aux moins efficaces, des plus violentes au plus pacifiques, de la plus concrète à la plus abstraite et en particulier la place que tient l’idéologie.

L’exercice de la démocratie

C’est l’exercice même de la démocratie, qui est au cœur des revendications des syndicats et des associations portant notamment sur les droits sociaux. Ils réclament notamment de pouvoir participer aux prises de décisions et à leur élaboration. La démocratie représente le pouvoir du peuple, et plus précisément « le gouvernement des citoyens » (Delannoi 1998 : 62).

https://americanaffairsjournal.org/wp-content/uploads/2018/02/ancient-democracy1.png

La démocratie prend de multiples formes qui dépassent le seul usage de la démocratie représentative. La « démocratie revendicative » s’inscrit plus généralement dans la lutte des classes, et prend la forme de luttes sociales de grèves, de blocages, de désobéissance civile, d’actions symboliques, de sensibilisation....

Nous montrerons à travers plusieurs exemples comment les luttes sociales peuvent parvenir à des succès et accroître les droits sociaux et écologiques.

Les acteurs de la société civile luttent pour conquérir l’hégémonie idéologique.

Dans le cadre d’un numéro spécial sur la société civile, François Houtard [4] distingue ainsi trois principales conceptions : non analytique, préanalytique et analytique populaire, afin de pointer son ambiguïté.

https://search.lilo.org/searchweb.php?q=societ%C3%A9%20civile%20images&tab=images&page=1#
La conception non analytique (angélique) de la société civile.

Cette vision ne prend pas en compte les rapports sociaux basés sur l’exploitation et la domination. La société civile se limite, selon cette vision, aux ONG, aux associations, aux organisations alternatives, culturelles... Elle se base sur la dénonciation des abus du système capitaliste libéral, mais ne s’attaque pas à sa logique d’exploitation, d’aliénation et de domination entre les classes sociales.

La conception préanalytique (néo-libérale ou sociale libérale).

Dans cette perspective, les rapports sociaux sont régis par le marché conçu comme une loi naturelle qui ne peut pas être remise en cause et par les critiques émises par les mouvements sociaux au sein de la société civile. En effet, selon cette conception, le marché favorise à long terme l’enrichissement collectif. “La société civile, dans cette conception, signifie prendre en compte prioritairement le monde de l’entreprise, sur celui des associations citoyennes” selon Houtard.

La conception analytique selon Gramsci.

Ce dernier définit la société civile comme “l’ensemble des organismes vulgairement appelés privés... et qui correspondent à la fonction d’hégémonie que le groupe dominant exerce sur l’ensemble de la société” [5].

Paule Bouvier, quant à elle, précise que l’État, avec son appareil institutionnel, “constitue l’instrument de domination directe, la société civile, en représente la forme de domination indirecte, la composante culturelle. Les institutions propres à la société civile, qui sont les canaux par lesquels le groupe dominant exerce sa fonction hégémonique, sont principalement l’école, l’église et tout autre organisation susceptible d’influencer l’opinion publique. » [6].

Selon Gramsci, la société civile ne se compose donc pas seulement des associations de solidarité nationale et internationale, mais aussi des lobbies industriels (groupements, associations, syndicats, ONG, médias...) notamment.

Le terme de société civile nuit à une lecture claire des enjeux politiques, dans la mesure où il recouvre des classes différentes et en conflit. Au sein de la société civile, luttent donc différents acteurs, afin de conquérir l’hégémonie idéologique et politique.

Pour celles qui luttent pour la défense des plus défavorisés nous les qualifierons, pour notre part, d’ « associations civiques » (ONG notamment), associations de travailleurs et de mouvements sociaux.

Des luttes sociales réformistes aux luttes révolutionnaires
La lutte sociale via la démocratie revendicative

Elle exerce une pression sociale (manifs, boycott, grève, dénonciation…), pour tirer les débats vers sa propre idéologie.

La dimension revendicative relève des campagnes d’opinion, d’interpellation des élus locaux et nationaux, des organisations internationales publiques et des entreprises transnationales (ETN). Ce type de lutte consiste à faire pression sur le destinataire (pouvoir public, entreprises...) aux moyens de messages critiques ou alternatifs lancés dans le cadre de l’espace public (manifestations, tracts, messages dans les médias...). Les luttes sociales de nature revendicative, accélèrent et cristallisent la prise de conscience, comme dans le cas de la démocratie par la sensibilisation.

https://search.lilo.org/searchweb.php?q=manifestations%20images%20&tab=images&page=1#Environmental manifestation against the construction of AHT-TAV, high speed train, in streets of Donostia, Euskadi.
Exemples :

Les luttes sociales pour des revenus aux chômeurs et des revenus inconditionnels, s’inscrivent aussi dans la démocratie revendicative. Les mouvements sociaux qui défendent un revenu universel inconditionnel, ne sont pas parvenus jusqu’alors à atteindre cet objectif. Cependant, le RMI créé en 1988, bien qu’il reste à la fois insuffisant et qu’il soit assorti de contrainte de réinsertion, est un premier pas dans cette direction. Le revenu inconditionnel permet de libérer du temps pour des activités sociales et culturelles. La « production » de lien social crée une valeur économique que la société doit rémunérer en tant que telle, explique Moulier Boutang. De plus, la sphère de la réciprocité doit être reconnue économiquement en mesurant « l’apport du travail non rémunéré à l’économie » selon J.-L. Laville. Mais nous allons voir que ces luttes pour des revenus plus ou moins déconnectés du travail sont fortes et anciennes.

La lutte sociale fondée sur la sensibilisation, par la prise de conscience.

Elle s’inscrit dans la démocratie par la sensibilisation.

Le tiers-mondiste, Paulo Freire [7], avec sa

Método Paulo Freire de alfabetização
http://foro-redpaulofreire-peru.blogspot.com/2012/12/pedagogia-de-la-autonomia.html

théorie de la prise de conscience, suppose que l’accès à la conscience des problèmes est la première étape pour s’en affranchir.

Les actions d’information, de formation, d’éducation populaire s’inscrivent donc dans cette optique. Pour les associations, il s’agit notamment de l’éducation au développement, dans les écoles, dans le cadre de conférence, etc... Chacune des orientations prises a un prix, car le temps et l’énergie (humaine et financière) qui y sont consacrés, diminuent le temps et l’énergie consacrés aux autres types d’actions démocratiques, telle la « démocratie revendicative ».

Cependant, Mathieu estime qu’en « présupposant la prise de conscience par des dominés (...) cela contribue à doter « ceux qui savent » d’un savoir supérieur, alors que la vérité peut s’avérer parfois arbitraire. Cela peut ainsi créer une position de dominant par rapport au dominé, qui lui ne sait pas encore [8] ». De plus Bourdieu souligne qu’une prise de conscience mentale ne suffit pas toujours à modifier des attitudes intériorisées, tel que l’habitus [9]. Cependant, ces limites ne viennent pas remettre en cause la dimension fondamentalement émancipatrice des idées, de l’idéologie et de la conscience comme moteur premier de l’action collective.

L’agir communicationnel et la démocratie communicationnelle

La théorie de l’agir communicationnel de Habermas peut être qualifiée de démocratie communicationnelle. Elle se rapproche de la démocratie par la sensibilisation. Habermas prône une démocratie radicale ou délibérative fondée sur la communication (l’agir communicationnel), la délibération au sein des espaces publics. C’est-à dire que les débats, les analyses, les polémiques, dans les conférences, les médias, les conversations, participent tous à éclairer l’opinion publique pour que celle-ci fasse les meilleurs choix dans ses décisions, dans le cadre des élections et de la démocratie participative [10].

L’expérimentation concrète a un rôle éducatif, visant à promouvoir des alternatives.

Mener des expériences concrètes, collectives et locales permet de découvrir des alternatives, de prouver et de montrer qu’elles sont réalisables.

Les sociétés de secours mutuelles entre les travailleurs ont été les avant garde de la sécurité sociale actuelle, tel que la gratuité des soins. Magnidas souligne qu’à partir du 18e siècle « la mutuelle traduit une première avancée de la conscience sociale. L’État ne peut s’y opposer en raison de leur objet et de leur caractère pacifique. Certaines existent depuis longtemps (la mutuelle des Menuisiers en meubles date de 1760). Elles se créeront sous la Convention, le Directoire, le Consulat, l’Empire. A la veille de la Révolution de 1830, les mutuelles se multiplient. Le point d’appui que constitue la Mutuelle, pour soutenir des actions de grève et de solidarité, traduit une volonté de résistance, d’indépendance : échapper à l’aliénation de la charité pratiquée par l’Église et la bourgeoisie et d’exprimer une solidarité qui s’élargit à de nouvelles pratiques. Ces processus objectifs et subjectifs sont liés, sans tomber dans un déterminisme réducteur, ils accompagnent la formation de la classe ouvrière (...). La Mutualité habituera les travailleurs à discuter de leurs intérêts communs, elle va les conduire à se concerter pour résister aux empiétements du capital (...) en s’organisant ensuite sous la forme de la ’’Chambre syndicale et le syndicat de luttes de classe’’ » [11].

La démocratie participative

La lutte sociale peut prendre la forme plus consensuelle de la démocratie participative qui cherche à réduire les limites de la démocratie représentative par une plus grande proximité et participation à l’élaboration des décisions et aux votes d’un certain nombre d’entre elles. Dans ce type d’action, on trouve notamment les associations, les citoyens seuls, mais parfois aussi des représentants d’entreprises.

La démocratie pluraliste

Entre ces deux pôles extrêmes, que sont la démocratie directe et la démocratie représentative, se situe une large variété de formes démocratiques dont la démocratie pluraliste (Aron 1964, Crémions, 1972), pour qui il y a une pluralité d’élites, de groupes d’intérêts souvent en désaccord et non pas une classe dirigeante. D’autres, tel Dahl, considèrent que les démocraties dites pluralistes sont encore imparfaites parce qu’une minorité d’élites limite le pouvoir du peuple et ils qualifient celles-ci de « démocraties polyarchiques » [12].

https://ethique-sur-etiquette.org/Nos-outils

La démocratie partici­pative cherche ainsi à améliorer les processus de décision de la démocratie représentative. Par exemple, pour atteindre leurs objectifs, le collectif de l’éthique sur l’étiquette (ESE) et la CCC [13] (Clean Clothes Campagnes) européenne utili­sent différents modes de régulation par la démocratie participative.

Lorsqu’ils participent à l’élaboration de la production des normes, comme à l’Afnor ou au sein des pouvoirs publics nationaux ou européens, il s’agit d’un mode de régulation par la démocratie participative.

Les mobilisations sont coûteuses en temps et en énergie. Il est donc parfois plus efficace de développer le registre d’expertise et de se lier avec les “propriétaires des problèmes publics” comme les dénomme Gusfield (1981) [14]. Ils ont ainsi un accès privilégié aux “systèmes d’arènes interconnectées”. Cependant cela développe la logique d’institutionnalisation, l’accès à “un réseau d’opérateurs” et de ‘’guichets’’. Il y a alors le risque d’entrer “dans un scénario de domestification” (Hilgartner, Bosk, 1988) [15], au détriment du registre de la mobilisation plus radicale.

La démocratie participative vient compléter la démocratie représentative, où seuls les élus prennent les décisions. Ainsi, la nature des acteurs s’élargit dans la préparation des décisions, mais rarement dans la décision elle-même. De plus, la société civile qui participe à la démocratie participative est aussi composée des intérêts particuliers des acteurs économiques privés, tels les lobbies industriels. Or, ces derniers, de même que les associations citoyennes ou de travailleurs, n’ont pas la légitimité électorale des élus, qui sont censés représenter l’intérêt général. Cependant, ce n’est pas si simple, car ces derniers appartiennent souvent aux classes dominantes et travaillent avec eux et pour eux, malgré un discours rassembleur. Par exemple, le frère de Nicolas Sarkozy a été le numéro deux du Medef, le syndicat patronal.

Les luttes sociales par « blocages » (dites « luttes non violentes »)

La grève générale

La lutte sociale, par la grève générale reconductible, vise à bloquer l’économie du pays.

Elle doit théoriquement tenir, jusqu’à ce que la revendication ait été exaucée par le gouvernement. Dans les luttes à visée révolutionnaire, elle peut être le début d’un renversement pacifiste visant à faire tomber le gouvernement, par le pouvoir de la masse. Les manifestations et la grève générale de 1968 ont failli aboutir à cette situation de changement de gouvernement. Tandis que les grandes grèves de 1936, elles, ont permis de nouvelles conquêtes sociales.

Exemple :

https://www.frenchaffair.com.au/media/wysiwyg/CMS1/FeteDuTravail.gif

Les luttes sociales de 1936, par la grève générale ont abouti aux vacances rémunérées (congés payés) et aux 40 heures. Après la 1ère guerre mondiale, à partir de 1919, les luttes sociales se sont multipliées, jusqu’en 1936. Le 1er mai 1936, les grèves sont bien suivies, car la situation économique est difficile, depuis le krach de 1929. La victoire sociale de juin 1936, trouve aussi son origine dans les événements du 6 février 1934, lorsque des militants fascistes tentent un coup d’État contre la Chambre des députés (le Palais Bourbon). Les travailleurs prennent alors conscience du danger de la menace fasciste et entendent s’y opposer. Suite, à cette manifestation, des ouvriers sont licenciés, ce qui va relancer le mouvement de grève. Il y a alors les premières occupations d’usines et ce mouvement se propage dans la France entière. Après un mois de lutte, le 8 juin 1936, le patronat, sous la pression des grévistes, accepte de signer les accords de Matignon. Mais ces derniers estiment que le compte n’y est pas et les grèves se développent encore, jusqu’au 26 juin 1936 ou seront votées en urgence des lois sur les congés payés, les 40 heures, les conventions collectives.

Ces réussites sont le résultat d’un mois et demi de grèves dures, impliquant les travailleurs au plan national. L’État et les employeurs ont dû lâcher du lest, face à ce rapport de force massif des classes laborieuses.

Les luttes sociales par des actions de blocages,

Elles peuvent prendre des formes diverses :

Elles prennent la forme de sit-in (s’asseoir dans un lieu et refuser d’en bouger, tant que sa revendication n’est pas entendue), ou encore d’occupation d’un lieu stratégique afin de bloquer le fonctionnement d’une entreprise, un nœud stratégique de transport, ou d’approvisionnement énergétique. Elles s’appuient alors sur le pouvoir de blocage, grâce à des actions de sabotage des outils de travail, de transports, des ressources d’énergie stratégiques.

Exemples :

Ainsi, la grève des routiers, en novembre 2002, pour la réduction du temps de travail, la grève des douanes françaises, puis celle des routiers, en Janvier-février 1984 qui auront une influence décisive, sur la signature de l’accord de Schengen, l’année suivante en 1985. La grève des dockers, dans les ports qui important du pétrole, risquait de créer des pénuries dans les pompes à essences, en octobre 2010. De même, les fréquentes grèves des cheminots, bloquant les transports ferroviaires français de décembre 1986 à janvier 1987 en sont des exemples.

https://freedom.fr/les-dockers-en-greve-ce-matin-au-port-est/

Les luttes sociales, utilisant des actions de blocage, sont une des formes de lutte les plus efficaces, car leurs impacts se font sentir très rapidement, lorsque celles-ci touchent à des secteurs vitaux de l’économie.

La lutte sociale par la désobéissance civile

Elle consiste à ne pas respecter la loi, lorsqu’elle est considérée comme illégitime.

Exemples :

Les faucheurs volontaires sous la conduite de José Bové, utilisent cette technique, ils sont ainsi parvenus à ce que le gouvernement français interdise la culture de Colza et de riz OGM. 

Frank Furet rapporte que « durant les années 1960 le Conseil du grand Londres fut tenté de décréter les transports en commun gratuits. En France, les premières luttes sociales des chômeurs, portaient sur la gratuité des transports publics. Le réseau « No Pasaran ! » a mené des campagnes ‘’trains gratuits’’ à Cologne et à Monaco en 1999, à Nice en 2000 ; des initiatives locales ont vu le jour par ci par là en Europe : le STAS à Saint-Étienne, le RATP (qui sont dénommés ainsi par dérision) à Paris »... « Le CST à Marseille créé en septembre 2001 a tenté de sensibiliser les usagers à la question de la gratuité des transports publics, en ouvrant pendant trois quarts d’heure les barrières d’accès au métro du vieux port, distribuant des tracts » et en discutant.

« Des luttes ont permis d’obtenir la gratuité de transports collectifs pour tous (Compiègne, 30 000 habitants, Issoudun, 18 000) ou sous conditions de ressources (région Midi-Pyrénées, Caen), des avantages catégoriels commencent à être consentis » [16].

https://search.lilo.org/searchweb.php?q=societ%C3%A9%20civile%20images&tab=images&page=1#
Les relations entre les luttes sociales révolutionnaires et la violence

La révolution signifie une transformation radicale d’un système.

Ce peut-être le passage de la monarchie au parlementarisme, du capitalisme au socialisme, notamment...

La lutte sociale, qu’elle soit à visée révolutionnaire ou non, peut s’exercer avec ou sans violence physique ou matérielle. La révolution porte souvent une connotation de violence (révolution française, russe...), mais elle ne l’est pas obligatoirement.

Le droit de manifester

Pour préserver la démocratie, il s’agit de protéger complètement le droit de manifester en préservant l’intégrité physique des manifestants.

Cela suppose au minimum, que l’État empêche les forces de l’ordre d’éborgner les manifestants et de les protéger contre de graves fractures du crâne. Il y a donc une urgence démocratique, à ce que le parlement légifère, afin de limiter leur usage à la légitime défense et de supprimer l’usage des armes sublétales, telles les LBD, pour la gestion des manifestations, car ils s’avèrent trop dangereux pour cela et donc inadapté. En effet, il est bien suffisant pour le maintien de l’ordre des manifestations de se limiter à l’usage traditionnel des armes dites non létales, telles les matraques et les grenades lacrymogènes. Elles ont prouvé leur efficacité et peuvent déjà à elle seule produire des blessures graves, qui les classent alors, elles aussi, en armes sublétales... Car une véritable arme non létale ne génère pas de séquelles à long terme. Seul ce type d’arme devrait être autorisé pour préserver la liberté de manifester. Or, souvent les LBD génèrent, au niveau du visage, des yeux, du nez, de la mâchoire et du crâne, des blessures graves, générant des séquelles à long terme, qui sont irréversibles. L’usage des LBD, de même que les grenades de désencerclement et des armes sublétales devrait donc être limité à la légitime défense par les forces de l’ordre.

Les législateurs devraient donc édicter une loi interdisant aux forces de l’ordre, d’utiliser des armes sublétales, telles les LBD, pour maintenir l’ordre dans les manifestations. Cela permettra d’éviter que les fonctionnaires chargés du maintien de l’ordre nuisent excessivement à l’intégrité physique des citoyens et donc au droit démocratique de manifester.

jt weekend – un militant sud a ’perdu l’usage de son œil’ jeudi 15 septembre 2016 en marge de la manifestation parisienne contre la loi travail. il a ’vraisemblablement’ reçu un éclat de ’grenade lancée par les forces de l’ordre’. il va porter plainte contre les forces de l’ordre.

https://photos.lci.fr/images/1280/720/paris-un-militant-perd-un-oeil-lors-de-la-manifestation-contre-la-loi-travail-20160917-1455-2c0d93-0@1x.jpeg

Les luttes sociales violentes et non violentes.

Il est difficile de scinder véritablement les luttes sociales violentes et non violentes.

En effet, même une action de nature non violente peut être vécue, comme violente par celui qui la subit. La frontière, entre la violence et la non violence, fluctue en fonction des situations et de la subjectivité des personnes visées, comme des acteurs de ces actions. On observe donc différents niveaux de l’action qui peut être qualifiée de non violente contre des individus :

  • Le blocage du fonctionnement social (grève)
  • Le blocage physique (barrage dans les circuits de transports, l’entrée des organisations...)
  • Destruction de biens matériels sans agression des êtres humains
  • Agression verbale sans agression physique
  • Blocage physique d’individus sans violence physique.
L’action politique

L’action politique est de nature électoraliste pour un parti politique et peut être de nature idéologique pour une association.

Exemples :

L’association Attac, qui lutte contre le néolibéralisme, sans participer aux élections comme candidat, mène une lutte politique de nature idéologique. Ainsi, les associations profitent souvent du temps des élections, pour porter au devant de la scène, leurs revendications. Attac publia un manifeste pour les élections présidentielles de 2006, mais sans être candidat.

Cependant, même une action individuelle et locale peut avoir une dimension politique, par exemple, le fait de moins prendre l’avion, de trier ses déchets ou d’acheter des produits de telle origine (être consom’acteur), contribue à influer sur les politiques environnementales.

Certaines associations, telles Attac, ne cherchent pas à devenir des partis politiques, afin de conserver leur utilité et leur légitimité spécifique, comme l’explique Perlas (2003). Par contre, d’autres associations choisissent de se transformer en parti politique, pour faire aboutir leurs luttes, c’est le cas du M’PEP (Mouvement politique d’éducation populaire), regroupant d’anciens militants d’Attac, tels son ancien président, Jacques Nikonoff.

Pour un parti politique, la participation aux élections, notamment la lutte pour la visibilité, s’inscrit surtout dans la démocratie par la revendication, mais aussi dans celle de la démocratie par la sensibilisation. Les membres d’un parti politique, s’ils savent qu’ils ne seront pas majoritaires, peuvent néanmoins participer aux élections, afin de faire passer leurs idées et non pas pour chercher à gouverner ou pour avoir des élus. Il s’agit d’une « élection porte-voix » pour un parti politique dont la première phase passe par l’utilisation des médias, durant la période électorale et dont la seconde phase consiste à utiliser les éventuels rares élus obtenus, pour faire entendre leurs idées dans cette nouvelle arène, qu’est le conseil (municipal, régional ou le parlement), en direction des autres élus, des médias et de l’opinion publique. Cette stratégie fut suivie par exemple par le NPA (Nouveau Parti Anticapitaliste) et le Parti de gauche, lors des élections régionales de 2010 notamment.

Cependant, même dans ce registre de la lutte pour la seule visibilité, on relève une inégalité dans la capacité des partis politiques à diffuser des informations liées aux ressources financières dédiées à la communication publique ainsi qu’à l’appui ou non des médias dominants.

Conclusion

Ces différentes formes de luttes violentes et non violentes, peuvent se renforcer les unes les autres, en fonction des situations. Leur usage n’est pas exclusif.

Les acquis sociaux les plus importants sont généralement le résultat de luttes sociales et très rarement des offres altruistes et généreuses, adressées aux salariés, par les élus des partis majoritaires. Ces luttes prennent des formes diverses, telles : la démocratie revendicative, les actions de sensibilisation, les luttes pour plus de visibilité, la désobéissance civile, les actions de blocage, de grèves, les expérimentations concrètes alternatives et éducatives.

Les luttes peuvent être réformistes et aussi révolutionnaires, violentes ou non violentes. Les éléments déclencheurs d’une lutte sociale (révolution ou grève générale), varient, ils prennent parfois la forme du refus de la perte d’anciens droits, d’avantages acquis. Ces luttes peuvent débuter lorsque les gens considèrent que les situations qu’ils subissent sont injustes et injustifiables.

Les élections sont aussi un instrument d’accroissement de la visibilité, de communication, mais l’action politique est de nature électoraliste pour un parti politique et peut être de nature idéologique pour une association. Dans la lutte électorale, il y a plusieurs stratégies d’alliance entre acteurs, par exemple elles peuvent être conjoncturelles ou à long terme.

Enfin, il existe des tentatives de changement réformiste, qui ne s’inscrivent pas dans la lutte sociale directe, mais plutôt sous la forme de démocratie participative, de négociation ou encore de triarticulation entre entreprises, pouvoirs publics et associations ou syndicats.

Notes :

[1Objectif 17 : « La réalisation des objectifs de développement durable nécessite le partenariat des gouvernements, du secteur privé, de la société civile et des citoyens, afin de garantir la création d’une planète meilleure pour les générations futures. »

[2Thierry Brugvin est docteur en sociologie (EHESS) ; il est l’auteur de plusieurs articles et de plusieurs ouvrages, en particulier : Le pouvoir illégal des élites, ed. Max Milo, 2014, Qui dirige le monde ? ed. Libre & Solidaire, 2019.

[4Houtard François (Sous la direction de), « le concept de société civile dans le débat contemporain », in Société civile, Alternatives Sud, L’Harmattan, Bruxelles, Vol V, 1998.

[5Gramsci Antonio, Cahier de prison, Paris, Gallimard, 1975.

[6Bouvier Paule, “Le concept de société civile : mythe ou réalité”, Cahiers Cercal, n°23, Bruxelles, 1998.

[7Freire Paulo, Pédagogie des opprimés, Paris, Petite collection Maspéro, 1974.

[8Mathieu Lilan, Comment lutter ? Sociologie et mouvement sociaux, Textuel, 2004.

[9Bourdieu Pierre, La domination masculine, Paris, Seuil, 1998.

[10Habermas, Droit et démocratie, Entre faits et normes, Gallimard, Paris, 1997.

[11Magniadas Jean, Histoire de la Sécurité sociale, (Op. Cit), 2003.

[12Aron Raymond, Démocratie et Totalitarisme, Paris, Gallimard, 1964.

Gremion Pierre, Le pouvoir périphérique, Paris, le Seuil, 1972.

Wilson Frank, Interest Group Politics in France, Cambridge, University Press, 1987.

Dahl Robert, A., Polyarchy : Participation et Opposition, New Haven, (Conn) Yale University Press, 1982.

[14Gusfield J. Drinking-Driving and the Symbolic Order : the Culture of Public Problems, Université of Chicago Press, Chicago, 1981 (1ère Ed. 1963).

[15Hilgartner S., Bosk C., “The Rise and Fall of Social Problems” American Journal of Sociology, vol. 94, 1988.

[16FURET Frank, « Vers la gratuite des transports ? » Banc Public n°104, Novembre 2001


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