Terre des Hommes – Délégation du Doubs
Pour le droit à vivre dignes

Site de la délégation départementale du Doubs (DD25) de l’ONG Terre des Hommes France

Pour une lecture genrée de la Déclaration universelle des Droits humains

Orianne Vergara
Maître de conférences de droit privé
Université Bourgogne Franche-Comté.

Article mis en ligne le 15 juillet 2018
dernière modification le 16 juillet 2018

par Orianne Vergara
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Orianne Vergara — Photo TDH25

Pour une lecture sexuée de la Déclaration Universelle des Droits humains

À la question de savoir si la déclaration universelle des droits de l’homme est une réalité ou une utopie pour les femmes, nous ne répondrons pas véritablement. C’est l’effectivité de la DUDH qui serait alors en cause dès lors qu’il s’agirait de son application à la gente féminine. La réalité résiderait alors dans l’utopie de croire que soixante-dix ans après sa rédaction, la Déclaration universelle des droits humains est complètement effective à l’égard des femmes. En effet, il est certain qu’à travers le monde, les femmes, représentant pourtant peu ou prou la moitié de l’humanité, souffrent encore d’une situation inégale à celle des hommes, uniquement en considération de leur sexe.

Alors, plutôt que d’envisager un état des lieux des droits attribués ou déniés aux femmes, nous proposons une lecture sexuée de la Déclaration elle-même. Nous nous interrogerons sur la rédaction en français de la Déclaration pour savoir si et comment la condition féminine y a été abordée, et quelles propositions peuvent être encore formulées quant à la rédaction du texte.

Lecture naïve et lecture critique

Le texte proposé à l’étude, par son universalité et sa simplicité, a invité l’auteure de ces quelques lignes à se plonger dans le passé pour se souvenir de sa première lecture de la Déclaration. Une lecture enfantine de celle-ci peut alors être limitée à l’étude du seul article premier de la Déclaration. Ce dernier dispose que « tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droit. Ils sont doués de raison et de conscience et doivent agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité ». La logique aristotélicienne venant à notre secours, il est permis de proposer le syllogisme suivant : tous les êtres humains sont égaux ; les femmes et les hommes sont des êtres humains ; les femmes et les hommes sont donc égaux. L’article premier de la déclaration universelle paraît alors nécessaire et suffisant pour faire de la femme l’égale de l’homme sans qu’aucune considération genrée ne soit utile.

Pourtant, la simplicité du raisonnement se heurte déjà à l’insuffisance relative de la déclaration voulue universelle proclamée en 1948. On remarque tout d’abord que « l’autre » moitié de l’humanité devait faire l’objet d’une déclaration spécifique en 1979. L’Organisation des Nations Unies a en effet jugé nécessaire de proclamer une Déclaration sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes. Bien que l’initiative ne peut qu’être saluée, elle révèle toutefois la relativité du caractère universel de la déclaration de 1948.

La question du genre

Par ailleurs, la traduction française du titre de la déclaration est également témoin de la moindre considération des femmes. En effet, si en anglais la déclaration a été nommée Declaration of human rights, elle apparaît en français sous l’expression Déclaration universelle des droits de l’homme. Il est commun de relever que l’expression exclut de facto la moitié de l’humanité. Il ne faut cependant pas trop s’émouvoir d’une telle dénomination dans la mesure où aujourd’hui la formule « droits humains » est aujourd’hui largement préférée. L’universalité de la déclaration ne pose de ce point de vue pas véritablement de difficulté.

Ensuite, au plan du contenu des articles de la déclaration, on ne peut que relever la rareté de la différenciation sexuée. En effet, presque tous les articles évoquent « toute personne » ou « tout individu ». À ce stade, il est presque décourageant de s’interroger sur les femmes et la déclaration universelle des droits de l’homme. Pourtant, malgré cela, la considération de sexe apparaît dans trois articles (article 2, 16 et 25) de la déclaration qui révèlent la place et la considération attribuées aux femmes.

La place de la femme dans l’humanité

Le deuxième article de la déclaration universelle dispose que « chacun peut se prévaloir de tous droits et de toutes libertés proclamés dans la présente déclaration, sans distinction aucune notamment de race, de couleur, de sexe, de langue, de religion, d’opinion politique ou de de tout autre opinion, d’origine nationale ou sociale, de fortune, de naissance ou de toute autre situation ». En somme, il résulte de cet article que toute personne peut se prévaloir des libertés proclamées par la déclaration et toutes discrimination pour quelle cause que ce soit doit être prohibée. L’objectif, voire l’idéal de la déclaration est donc nettement posé.

Toutefois, la lecture de cet article suggère que la considération du sexe féminin, représentant pourtant immuablement la moitié de l’humanité, passe après la considération de la « race » et de la couleur. Alors même qu’aucune couleur ou religion ne représentera jamais la proportion que sont les femmes dans le monde, la condition féminine n’intéresse qu’en troisième lieu le rédacteur de la déclaration. Une telle place paraît immédiatement surprenant.

La femme comme épouse

Ensuite, la considération du sexe apparaît à l’article 16 du texte. Celui-ci énonce qu’« À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme, sans aucune restriction quant à la race, la nationalité ou la religion, ont le droit de se marier et de fonder une famille ». À cet article, le mot « femme » est directement employé. La considération sexuée apparaît donc pour garantir à chaque homme et chaque femme la liberté du mariage. Si la protection de cette liberté est nécessaire, on s’interroge néanmoins aujourd’hui sur la nécessité de préciser le genre des époux. En effet, même en adoptant une vision classique du mariage, soit nécessairement entre un homme et une femme, n’aurait-il pas été préférable de rédiger l’article de la manière suivante : À partir de l’âge nubile, tout individu, […] a le droit de se marier et de fonder une famille  ? On se demande ce qui justifie de différencier « l’homme et la femme » relativement au mariage, alors même qu’une telle distinction n’est jamais opérée ailleurs, le rédacteur de la déclaration ayant préféré les expressions « tout individu » ou « toute personne ». Sans doute habitude a été prise de considérer la femme plus en tant qu’épouse qu’en tant qu’être féminin. L’article n’a jamais fait l’objet de modification depuis son adoption. Aussi paraît-il, symboliquement au moins, utile d’adopter une rédaction dénuée de considération de sexe en la matière.

Par ailleurs, l’article 16 de la déclaration, indique que l’homme et la femme ont des droits égaux au regard du mariage et lors de sa dissolution. Une remarque peut être émise à l’égard de la rédaction de ces dispositions. En effet, il n’est pas transcrit que l’homme et la femme sont égaux en droit, mais qu’ils ont des droits égaux. Ainsi, de « l’être » envisagé dans l’article premier – tous les êtres humains naissant égaux -, on dérive à « avoir » des droits égaux. Or l’ensemble de la déclaration suggère que l’égalité entre les êtres humains résulte plus de leur nature humaine que des droits que les États auront bien voulu attribuer aux individus. On peut alors regretter que le rédacteur n’ait pas substitué l’être à l’avoir en la matière. Plus encore, une version asexuée de ces dispositions peut être envisagée, chaque époux deviendrait alors simplement l’égal de l’autre en dignité et en droit.

La femme comme mère 

Enfin, la considération du sexe féminin apparaît à l’article 25, 2° de la déclaration, relatif à la maternité. Ce dernier énonce que « la maternité et l’enfance ont droit à une aide et à une assistance spéciales ». Il résulte ainsi de l’article 25 de la déclaration que la femme a droit à une assistance spéciale lorsqu’elle est considérée en tant que mère, voire future mère. A la lecture de cet article, plusieurs remarques peuvent être faites. D’abord, on relèvera que les femmes sont ici considérées à travers la maternité. Toutefois, l’article ne protège ni les mères – ou futures mères – ni les femmes mais bien la maternité.

Or qu’est-ce que la maternité ? Selon le dictionnaire Le Robert, la maternité est l’état, la qualité de mère ; et la mère est celle qui met un enfant au monde. C’est donc bien ici, en réalité, la fonction reproductive des femmes qui est visée et non les femmes elles-mêmes. On notera alors dans un premier temps qu’il est à cet égard surprenant que les hommes, les pères, ne bénéficient pas d’une assistance similaire. En effet, la conception d’un enfant ne s’envisage pas sans une participation masculine. Partant, la paternité mériterait certainement autant d’égard que la maternité. Dans un second temps, on notera que ce sont bien la maternité et l’enfance qui sont protégés par le texte de 1948 et non le choix de la maternité. Or en 2018, il doit être admis que le choix d’être ou de ne pas être mère devrait être acquis aux femmes et plus généralement aux êtres humains. Aussi, de ce point de vue, une réécriture de l’article 25 paraît souhaitable pour protéger le choix de la maternité autant que la place de la paternité.

Pour une réécriture de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme

En somme et pour conclure, on relève que la rédaction de la Déclaration universelle des droits humains fait apparaître la condition féminine comme une préoccupation secondaire du texte (art. 2). Par ailleurs, la femme est considérée de manière différenciée dans la déclaration en tant que mère (art. 25) et en tant épouse (art. 16) alors même que le mari et le père ne font l’objet d’aucune disposition spécifique. Soixante-dix ans après son adoption, la Déclaration universelle méritait sans doute quelques amendements mineurs pour mieux servir l’idéal d’égalité entre les êtres humains.



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