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Migrant, réfugié, demandeur d’asile, migration, définition
L’omniprésence du terme « migrants », souvent utilisé de façon inappropriée, dans les médias nous montre que l’immigration reste au cœur d’un débat social et politique nourri – ainsi les récents débats autour du projet de loi « asile et immigration » [1] –, l’équivocité du terme renvoyant à des situations humaines diverses.
L’objet de cette contribution sera de nous intéresser à la manière dont cette réalité est appréhendée par le Droit international des Droits de l’Homme, et plus spécifiquement par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) de 1948.
Les Nations Unies usent des termes « migrants » et « migration » sur leur site et dans leurs publications. Nous pouvons citer, pour exemple, le rapport « Migration et Droits de l’Homme. Améliorer la gouvernance de la migration internationale fondée sur les Droits de l’Homme » [2]. Par-delà cette utilisation, il est nécessaire de nous intéresser à la manière dont ces termes sont définis, ou, à tout le moins, compris par l’ONU ; le site de l’UNESCO nous fournit de précieuses indications à cette fin.
Est considérée comme migrant « toute personne qui vit de façon temporaire ou permanente dans un pays dans lequel il n’est pas né et qui a acquis d’importants liens sociaux avec ce pays » [3]. À des fins statistiques, les Nations Unies proposent de distinguer le « migrant à long terme » (personne s’installant dans un pays autre que son pays de résidence habituelle pour une période d’au moins douze mois) du « migrant temporaire ». Définition large dont nous ne discuterons pas ici l’efficience.
Par ailleurs, la CIMADE [4] attire l’attention sur les précautions à avoir quant à l’utilisation du terme : il ne serait dorénavant pas « dénué ni d’idéologie, ni d’ambiguïté » et servirait « à opérer un tri entre les personnes qui quittent leur pays selon les causes supposées de leur départ » [5]. Un migrant stricto sensu l’aurait quitté pour des raisons économiques, ce qui le distinguerait du réfugié ou du demandeur d’asile, poussé à le faire pour des motifs politiques. Or, la CIMADE pointe, en pratique, le caractère poreux, d’où artificiel, de la distinction, tant il est parfois difficile de faire la part de l’économique et du politique.
Quant à la migration, elle désigne « le passage des frontières politiques et administratives pour un minimum de temps » : cela inclut donc les mouvements de réfugiés, les personnes déplacées et les migrants économiques. La définition se prolonge par une distinction entre la migration interne (mouvement d’une zone à une autre au sein d’un même États) et la migration internationale (relocation territoriale des personnes entre les Étatss).
Tous ces termes – migrants, réfugiés, demandeurs d’asile etc. – ne figurent pas dans les articles de la DUDH. Cela ne veut pas dire, pour autant, que la Déclaration ignore les personnes ainsi désignées, et les particularités de leur situation.
Elle s’applique à eux. En tant qu’êtres humains, ils se voient reconnaître tous les droits portés par le texte. Toutefois, la lecture de la DUDH nous montre que certains articles concernent plus spécifiquement leur situation et certaines des conséquences qui en découlent. Pour autant, ceux-ci n’épuisent pas toute la question puisque des conventions ultérieures sont venues approfondir les droits des personnes en situation de migration, volontaire ou involontaire (II).
Cependant, ces dispositions de la DUDH ne peuvent s’appréhender qu’en ayant présent à l’esprit le contexte de son élaboration : les lendemains de la Seconde Guerre Mondiale et la dramatique mesure de ses conséquences humaines (I).
I – La DUDH : un texte déterminé dans un contexte tragique
Si l’on se réfère au second paragraphe de son préambule, la Déclaration nous apparaît pour ce qu’elle était aux yeux de ses rédacteurs : l’expression d’une réaction déterminée au choc subi à la mesure des atrocités commises pendant la Seconde Guerre Mondiale :
« Considérant que la méconnaissance et le mépris des droits de l’homme ont conduit à des actes de barbarie qui révoltent la conscience de l’humanité et que l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme » [6].
Cette déclaration s’inscrit dans la lignée des idéaux portés par les Alliés lors du conflit mondial en matière de Droits de l’Homme ; les quatre libertés formulées par le Président américain Franklin D. Roosevelt ont servi de socle à l’élaboration de la DUDH (1). Toutefois, si le comité de rédaction a inséré des articles relatifs aux migrations de population, cela est dû aux conséquences de déplacements de populations sans précédent (2).
1 – Des quatre libertés à la DUDH
Dans son discours sur l’état de l’Union, prononcé devant le Congrès le 6 janvier 1941, le Président des États-Unis d’Amérique, Franklin D. Roosevelt a posé quatre libertés dont tous les êtres humains devraient pouvoir jouir, partout dans le Monde : la liberté d’expression, la liberté de religion, la liberté de vivre à l’abri du besoin et la liberté de vivre à l’abri de la peur [7]. Mises en image par l’illustrateur Norman Rockwell [8], elles prirent place dans la propagande du gouvernement visant à faire entrer les Étatss-Unis en guerre.
Ces quatre libertés deviennent ensuite des buts fondamentaux pour les Alliés. Dans la déclaration – connue sous le nom de Charte de l’Atlantique – qu’ils prononcent conjointement, le 14 août 1941, Franklin D. Roosevelt et Winston Churchill, Premier Ministre britannique, les reprennent et les complètent [9].
Les quatre tableaux de Norman Rockwell, inspirés par le discours des quatre libertés de Roosevelt.




Dans le même esprit, la Charte des Nations Unies (traité qui définit les buts et les principes de l’ONU, ainsi que la composition, les missions et les pouvoirs de l’organisation), adoptée le 26 juin 1945, proclame, dans son préambule, la foi des peuples des Nations Unies dans « les droits fondamentaux de l’homme, dans la dignité et la valeur de la personne humaine, dans l’égalité de droits des hommes et des femmes, ainsi que des nations, grandes et petites » [10].
A cette fin, l’article 1 de la Charte pose parmi les buts et les principes de l’organisation la réalisation de « la coopération internationale […] en développant et en encourageant le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ».
La rédaction de la DUDH est le produit d’une volonté de rédiger un texte plus spécifique. En effet, la découverte des atrocités commises par le régime nazi en Allemagne fit émerger un consensus au sein de la communauté internationale. Il semblait que la Charte des Nations Unies ne définissait pas suffisamment les droits auxquels elle faisait référence. Le besoin d’une déclaration précisant les droits des individus s’est fait alors ressentir afin de renforcer le dispositif relatif aux Droits de l’Homme.
Un comité chargé de cette rédaction fut constitué, qui tentait de refléter l’ordre mondial mis en place aux lendemains de la Deuxième Guerre Mondiale. Sa présidence confiée à Eleanor Roosevelt.
Si les travaux de ce comité furent placés dans la droite ligne du Discours sur les quatre libertés et de la Charte des Nations Unies, la tâche fut plus ambitieuse car les rédacteurs se trouvèrent face aux situations humaines issues des années de guerre. Parmi celles-ci, des déplacements de populations sans précédent.
2 – Le contexte : des déplacements de populations sans précédent
Pour comprendre la volonté des rédacteurs d’insérer dans leur projet de déclaration des dispositions visant plus particulièrement les migrations de populations, il faut avoir à l’esprit que la Guerre a produit une instabilité, sans précédent, dans la géographie de la population en Europe. Cette instabilité ne prendra pas fin avec la victoire des Alliés et l’effondrement du IIIe Reich, mais perdurera pendant plusieurs années.
Ces déplacements de population sont, bien évidemment, liées aux conséquences de la Guerre.
Près de 12 millions de personnes, d’origine non germanique, se trouvent en Allemagne, à la fin de 1944. Il s’agit des travailleurs étrangers, enlevés principalement aux territoires d’Europe Centrale et Orientale, des prisonniers de guerre et des survivants des camps de déportation.
La politique du Reich a également entraîné d’importants déplacements de la population allemande. Des minorités furent installées à l’étranger, par exemple en Italie et en Hongrie. Le gouvernement nazi avait également décidé d’une colonisation des terres de l’Est.
En plus de ces déplacements, à motifs politiques, l’accumulation des défaites et l’avancée des troupes russes vont causer l’exode des civils et l’abandon d’environ 5 millions de prisonniers de guerre.
Mais, ce ne sont pas les uniques causes de ces déplacements ; la conférence de Potsdam en entraînera de plus systématiques.
Avant même la capitulation définitive du Japon le 2 septembre 1945, les chefs de gouvernement des Puissances alliées se sont réunis à Potsdam, pour fixer le sort des nations ennemies : Harry Truman pour les États-Unis, Winston Churchill puis Clement Attlee pour le Royaume-Uni et Joseph Staline pour l’URSS.
Une redistribution géographique des peuples est entreprise, avec pour idée sous-jacente : un État, une nation. Les déplacements de populations furent, en conséquence, entrepris.
Par exemple, des populations allemandes furent expulsées de la région des Sudètes, de Tchécoslovaquie ou encore de Hongrie, mais aussi des territoires nouvellement acquis par la Pologne. De la même manière, les annexions opérées par l’URSS à l’est de la Pologne entraînèrent le transfert de 2 millions et demi de Polonais et 500 000 Ukrainiens.
Ces migrations de population sans précédent ont conduit à l’insertion de dispositions visant à assurer que les personnes subissant ces déplacements se voient garantir un certain nombre de droits.
II – Les dispositions visant à assurer la protection des populations en migration
Si la DUDH comporte des dispositions visant à protéger certains droits et libertés des personnes en situation de migration (1), des conventions ont ultérieurement été adoptées pour établir différentes catégories de personnes, selon les motifs de leur migration (2).
1 – La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme
Dans le texte de la DUDH, se trouvent trois articles – art. 13, art. 14 et art. 15 – visant plus particulièrement les personnes en situation de migration, volontaire ou involontaire.
D’abord, la liberté de circulation.
La liberté de circulation peut être comprise comme le droit pour tout individu de se déplacer librement dans un pays, de quitter celui-ci et d’y revenir. Cette liberté s’applique tant aux migrations internationales qu’aux migrations internes.
A cette fin, l’article 13 de la DUDH dispose que « 1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un État ». Pour les rédacteurs de la DUDH, le caractère perpétuel et inaliénable de cette liberté ne devait pas faire de doute. L’article 13 continue ainsi : « 2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ». De cette liberté de circulation, les rédacteurs font, logiquement, découler la liberté de résidence.
Que l’on quitte un pays, même le sien, pour une quelconque durée, ne fait pas perdre à un individu le droit de jouir de cette liberté. Dans ce contexte de déplacements essentiellement forcés de populations, cet aspect était d’importance. Si les conséquences de la Guerre avait entraîné un individu à subir un déplacement de population ou une migration collective, il n’en perdait pas pour autant cette liberté de circulation et de résidence.
Ensuite, le droit d’asile.
Celui-ci est garanti par l’article 14 de la DUDH : « 1. Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays ». Avec une exception notable, et d’autant plus compréhensible dans le contexte historique immédiat : « 2. Ce droit ne peut être invoqué dans le cas de poursuites réellement fondées sur un crime de droit commun ou sur des agissements contraires aux buts et aux principes des Nations Unies ».
Il est important de distinguer le droit d’asile, en tant que valeur, du droit de l’asile, ensemble de règles juridiques définies et applicables dans les différents États. L’asile peut être défini comme l’accès, accordé à une personne poursuivie ou menacée, à un États où elle ne le sera plus. Cet accès peut se pérenniser en un droit de séjourner dans l’États en question.
Le droit d’asile, en tant que valeur politique, vise à accorder à des personnes injustement menacées le bénéfice d’un refuge, pour s’y protéger de manière temporaire, voire pour y refaire leur vie si la menace est durable. Les rédacteurs de la Déclaration s’inscrivirent ici dans une longue tradition historique : le droit de chaque être humain à trouver refuge face à des menaces est reconnu de longue date et commence à être défini comme un principe politique à partir du XVIIIe siècle.
Enfin, le droit à la nationalité.
En son article 15, formulé de manière succincte et efficace, la DUDH porte droit à une nationalité, que ce soit celle de son pays d’origine ou d’un pays d’accueil : « 1. Tout individu a droit à une nationalité ». Il continue ainsi : « 2. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité ».
La nationalité est un lien, à la fois juridique et politique, entre un individu et un États, généralement défini par la loi de cet États. Là encore, il faut distinguer le droit à la nationalité, conçu ici comme un droit de l’Homme, et le droit de la nationalité, ensemble de règles régissant la façon dont la nationalité peut être acquise, transmise ou, même perdue, dans un États donné.
Pour l’acquisition de la nationalité, il existe deux grands principes :
- Le droit du sol, la nationalité d’un États ne pouvant être acquise que par la naissance sur son territoire.
- Le droit du sang, un individu ne pouvant se faire reconnaître la nationalité d’un États uniquement si l’un de ses deux parents la possède déjà.
Les rédacteurs de la DUDH font de la nationalité tout à la fois un droit et une liberté pour l’individu. Cela implique que les États dans leur législation, doivent laisser la possibilité aux individus venant s’installer sur leur territoire d’acquérir la nationalité de cet États. Donc ne pas appliquer un droit du sol ou un droit du sang intégral.
Ces trois articles ont été assez rapidement jugés insuffisants pour couvrir toute la matière des droits à garantir aux personnes en situation de migration. C’est pour cette raison que des conventions ont été adoptées et adaptées aux différentes situations.
2 – Les conventions ultérieures
Loin d’épuiser la question, nous nous contenterons ici d’aborder les conventions sur les réfugiés, puis sur les migrants.
Aux lendemains de la Seconde Guerre Mondiale, la question des réfugiés était devenue cruciale pour les Nations Unies. La situation était très confuse du fait des milliers de personnes déplacées, pendant et après les hostilités. En 1951, le nombre de réfugiés était évalué à environ un million.
La convention de Genève :
Pour ces raisons, il a été décidé de leur consacrer un texte spécifique : la convention du 28 juillet 1951 – dite Convention de Genève – relative au statut des réfugiés [11]. Ce texte demeure l’instrument essentiel de définition du terme réfugié et de détermination des droits qui doivent leur être garantis.
A l’origine, elle avait une vocation temporaire : elle ne devait s’appliquer qu’aux personnes ayant dû fuir leur pays du fait des hostilités ou de la politique du IIIe Reich, « par suite d’événements survenus avant le 1er janvier 1951 » (art. 1 A (2)).
Considérant l’augmentation constante des populations réfugiées, la communauté internationale a décidé d’adopter en 1967 un protocole afin d’étendre le bénéfice de la Convention à toute personne rentrant dans la définition du terme, en supprimant toute référence de date.
Selon l’article 1 A(2) amendé de la Convention, le terme « réfugié » s’applique à toute personne « qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ».
Selon la Convention, les réfugiés doivent bénéficier, dans leur pays d’accueil, de la même protection que celle accordée aux étrangers résidants sur le territoire. Leur sont reconnus, entre autres, l’accès aux juridictions, l’accès à un emploi rétribué, le droit à l’éducation, au logement.
Par ailleurs, pour veiller à la protection des réfugiés et à l’application de la Convention de Genève, l’Assemblée générale des Nations Unies a créé, le 14 décembre 1950, le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.
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parties uniquement à la Convention de 1951
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parties uniquement au Protocole de 1967
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parties au Protocole et à la Convention
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non-membres
La Convention internationale sur la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille
Le 1er juillet 2003, entrait en vigueur la Convention internationale sur la protection de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille. Elle est un texte de l’ONU qui avait été adoptée le 18 septembre 1990 [12] ; il a fallu attendre que vingt États viennent à la ratifier afin qu’elle puisse entrer en vigueur. Les États qui ont ratifié la Convention font partie essentiellement des pays d’origine des migrants. Leur but est ainsi d’assurer la protection de leurs ressortissants résidants à l’étranger.
L’article 2 de la Convention ne définit par le terme « migrant », mais l’expression « travailleurs migrants », en tant que « personnes qui vont exercer, exercent ou ont exercé une activité rémunérée dans un États dont elles ne sont pas ressortissantes ». Cette définition large établit un lien entre deux notions : « migrant » et « travail », mettant ainsi en avant l’aspect économique motivant ces personnes à émigrer vers un autre pays que le leur.
Cette Convention a pour axe directeur de souligner le lien entre migrations et Droits de l’Homme. Elle sert donc de guide pour la promotion des droits des travailleurs migrants dans tous les pays, notamment en visant à promouvoir une égalité de traitement et des conditions de travail identiques entre les migrants et les nationaux. Tous les migrants doivent bénéficier d’un minimum de protection, y compris ceux en situation irrégulière.
Ainsi, grâce aux dispositions de la DUDH et aux conventions ultérieures, les personnes en situation de migration, tant pour des raisons politiques qu’économiques, sont reconnues comme devant bénéficier de la protection et des droits garantis par le Droit international des Droits de l’Homme.
Si ces problématiques se sont développées dans le contexte de l’après Seconde Guerre Mondiale, elles restent dans les principales préoccupations des Nations Unies ; la politique de l’Organisation vise à assurer la protection des Droits fondamentaux qu’elle reconnaît aux différentes catégories de population en migration.